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François Hollande au Maroc : plutôt les affaires que les droits de l'homme

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C'est un Président français sévèrement diminué politiquement qui s'apprête à se rendre en visite d'Etat au Maroc, les 3 et 4 avril.

Battant des records d'impopularité, François Hollande n'a cessé, depuis le début de son mandat, de chuter dans les sondages, où il a encore perdu cinq points, cette semaine, pour s'établir à trente six pour cent d'opinions favorables. Sa dernière prestation sur la deuxième chaîne française, n'y a rien changé. Peu ou prou de ses compatriotes ont été convaincus de sa capacité à relancer la machine de la croissance et résoudre le problème du chômage. Trente deux pour cent seulement,  d'entre eux l'ont trouvé «convaincant» et trente pour cent à le trouver «rassurant».  En outre, neuf chefs d'entreprises français sur dix interrogés, lors d'un sondage, ont  déclaré n'être pas confiants, dans un redressement prochain de l'économie, tandis que l'INSEE prévoit une croissance quasi nulle, pour l'économie française, au moins jusqu'à la fin du mois de juin.

Susceptibilité marocaine et « minauderie protocolaire »

C'est dans ce contexte de morosité qu'a lieu la visite de François Hollande. Une visite très courte, au regard des enjeux et de la forte délégation qui accompagnera le chef de l'Etat français. Elle tranche nettement avec celles de ses prédécesseurs, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, dont les liens avec ce pays du Maghreb, à l'instar de bon nombre de politiciens français,  débordent du cadre purement  diplomatique. Chirac avait ses habitudes au Palais des hôtes de Rabat et à « La gazelle d'or », à Taroudant, avant que son état de santé, qui s'est fortement dégradé, ne le contraigne à réduire tous ses déplacements.

Nicolas Sarkozy a, quant à lui, fait l'acquisition d'un riad de luxe, en guise de résidence secondaire, à Marrakech, peu avant son élimination à la présidentielle française. Un rude coup pour le Maroc qui avait misé à fond sur le candidat UMP.

Le président socialiste a choisi le haut de gamme des visites, à un moment où la France à bout de souffle économique,  se cherche un bol d'air, en dynamisant les relations avec la rive sud de la méditerranée. Les appels du pied et les panégyriques des responsables français à l'endroit du Maroc se sont multipliés, au cours des mois qui ont suivi les élections, d'autant que la première visite présidentielle aura été pour l'Algérie, où François Hollande s'était déjà rendu en mars 2012, alors qu'il n'était encore que candidat et promettait d'y revenir s'il était élu.

Pour qui connaît la susceptibilité du protocole marocain, la priorité donnée au frère ennemi était une égratignure. L'Elysée avait bien tenté de donner des gages, en envoyant son premier ministre en visite, rien n'y a fait. Comme il fallait s'y attendre, le palais ne s'est pas privé de rendre la politesse, sous la forme d'une « minauderie protocolaire » qui a choisi de faire passer l'hôte français, après le déplacement africain de Mohamed VI, au Sénégal, en Côte d'ivoire et au Gabon. Un déplacement dans le pré carré traditionnel marocain en Afrique qui ne revêtait ni un caractère d'urgence, ni une importance vitale, sinon pour les affaires personnelles du roi, dans les domaines des banques, des mines, des télécommunications ou encore de l'immobilier. Un timing soigneusement choisi, également, pour éviter au roi d'avoir à accueillir Christopher Ross,  l'Envoyé Personnel du Secrétaire Général de l'ONU pour le Sahara, en tournée dans la région. Fait notable, la visite du souverain marocain qui aurait du passer comme lettre à la poste, a eu à pâtir d'une autre susceptibilité protocolaire du palais, « ennuyé » que les gabonais aient annoncé la visite royale avant les médias officiels marocains.

Le Maroc arrière-cour de l'économie française

Avec la quasi totalité des entreprises du Cac 40 représentées sur place, des échanges commerciaux dépassant les vingt-deux milliards et plusieurs dizaines de milliards d'euros d'investissements, on peut dire que le Maroc est l'arrière-cour ou le prolongement naturel du tissu économique français.

Le Président qui compte prononcer un discours devant le parlement marocain au cours d'une session extraordinaire, tiendra sans doute compte de ce postulat et se gardera de franchir le Rubicon, en abordant les sujets qui fâchent, tels que les droits de l'homme, que la France préfère voir comme un verre à moitié plein, bien que le Maroc se retrouve pointé du doigt de toutes parts pour la rudesse de sa répression du « Mouvement du Vingt février » et les procès fabriqués contre ses militants. Autre point noir et non des moindres, le pays du couchant est également sur la sellette au Sahara occidental où ses forces de sécurité, tous uniformes confondus, se livrent à une chasse impitoyable aux indépendantistes. Des images volées circulent sur la toile et montrent, en effet, des hommes sévèrement battus, à Laayoune, par des policiers en civil et qui n'ont pas hésité à s'en prendre également aux femmes sahraouies et à leur intimité, leur arrachant voile et  vêtements et les menaçant de viol collectif.

La grogne en embuscade

Comme un mauvais présage, la visite du représentant français dans la capitale économique marocaine démarre dans la colère et la détestation populaire, les autorités de la ville ayant jugé nécessaire de délocaliser au stade El Abdi, d'une capacité de quinze mille places dans la ville d'El Jadida, distante de plus de cent kilomètres, le match qui devait opposer le Raja de Casablanca, aux koweitiens d'Al Arabi, au stade Mohamed V, d'une capacité de soixante mille places, mercredi à vingt heures.

Beaucoup plus préoccupant pour la vitrine du Maroc, cette visite intervient dans un contexte où l'agitation sociale reprend, de plus belle, au moment où le gouvernement Benkirane semble avoir atteint ses limites, face à l'ampleur de la tâche et à l'omnipotence du Palais. Les promesses de justice sociale, de lutte contre la corruption, d'indépendance de la justice sont restées lettre morte.

Transparency International a classé pour l'année 2012 le Maroc au quatre-vingt huitième rang sur cent soixante-seize pays, avec un indice de perception de la corruption de trente sept sur cent. Les autres indices flirtent toujours avec la médiocrité comme celui de la compétitivité défini par le Forum économique mondial qui classe notre pays en soixante-dixième position sur cent quarante deux pays. L'indépendance du système judiciaire fait pire, le royaume se classant, selon le Forum économique mondial, à la quatre-vingtième place sur cent quarante deux pour  2011-2012.

Le chômage des jeunes diplômés et la crise économique qui touche également le royaume entretiennent un fond diffus de grogne sociale qui menace de mettre, à tout moment, le feu aux poudres. La forme sporadique de grèves, de sit-ins et de manifestations, semble reprendre de la vigueur, après le moment de grâce ayant suivi les élections qui ont porté le PJD au pouvoir et Benkirane à la chefferie du gouvernement. La manifestation unitaire syndicale qui a eu lieu ce dimanche 31 mars à Rabat, a regroupé un arc-en-ciel d'organisations, de mouvements et de partis politiques vent debout contre les mesures d'austérité appliquées par le gouvernement marocain. Le nombre des manifestants témoigne de l'ampleur des revendications et de la détestation croissante des méthodes d'un Benkirane personnellement conspué par la foule.

Plutôt les affaires que les droits de l'homme

Sur tout cela, François Hollande fermera sans doute les yeux, préférant parler économie. Les soixante-dix patrons français qui font le déplacement en même temps que le  Président, tenteront de refaire le retard accumulé par l'Hexagone sur l'Espagne qui lui a pris la moitié des parts du marché marocain. La dizaine d'accords prévus porteront sur l'agro-alimentaire, mais surtout sur les énergies renouvelables. La France, qui compte réaliser le TGV, tant décrié par la société civile marocaine, ne cache pas son ambition de remporter la deuxième tranche de la centrale solaire de Ouarzazate, et de réaliser et gérer  le plus grand parc éolien à Tarfaya, d'une puissance de trois cents mégawatts, pour un coût de cinq cents millions d'euros.

Enfin, Paris qui ne peut se permettre de s'aliéner ses propres écologistes, lorgne avec un intérêt non dissimulé, sur le programme marocain de plus en plus contesté, comme un fait du Prince, de la prospection et de l'exploitation éventuelle du gaz de schiste, une source d'énergie dont on sait qu'elle pourrait polluer irrémédiablement, la nappe phréatique dans un pays qui manque souvent cruellement d'eau.

Rien de spectaculaire, ni de particulier ne sortira donc de la visite présidentielle, sous les auspices de la crise économique la plus grave que le monde ait eu à affronter depuis 1929, sinon à confirmer, une fois de plus, que la France reste une fidèle adepte de la Realpolitik. Et qu'elle soit de droite ou de gauche, elle affectionne de parler plutôt affaires que droits de l'homme !

[Cet article a été publié sur Lakome.]


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