Prêtre dominicain, fondateur d’Economie et Humanisme (1941), directeur de l’IRFED (Institut de recherche et de formation en vue du développement) depuis 1958, le père Louis-Joseph Lebret est une grande figure du Tiers-mondisme catholique dont l’itinéraire et la pensée ont été magistralement étudiés par l’historien Denis Pelletier dans son ouvrage Économie et Humanisme: De l'utopie communautaire au combat pour le tiers-monde (1941-1966). En opposition avec les deux modèles idéologiques dominants de son temps, le capitalisme et le marxisme (Rome condamne officiellement le marxisme en 1949), le père Lebret a défini une troisième voie: celle d’une économie humaine fondée sur le développement authentique et harmonisé.
Fortement inspiré par la doctrine sociale de l’Eglise, l’homme est aussi une personnalité française marquante de l’histoire libanaise sous la présidence de Fouad Chéhab (1959-1964). Un centre international porte son nom aujourd’hui. Conseiller privilégié du chef de l’Etat et inspirateur d’une politique inédite de planification et de développement, l’homme et ses équipes ont laissé une trace durable dans l’histoire économique et sociale du Liban d’avant la guerre civile. Un effort considérable de rationalisation des structures étatiques et de cartographie fine du territoire a été entrepris à cette époque. Des deux missions que le dominicain (par ailleurs directeur de laboratoire au Centre national de la recherche scientifique-CNRS- depuis 1961) dirigea, fut conservé un volume d’archives considérables aujourd’hui entreposées en France, consultables sur autorisation. Le fonds Lebret a alimenté ces dernières années des travaux de géographes et d’historiens parmi lesquels la thèse publiée en 2011 d’Eric Verdeil: Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975) et celle de Stéphane Malsagne: Fouad Chéhab, une figure oubliée de l'histoire libanaise (1902-1973).
Relativement méconnu par les nouvelles générations libanaises malgré le retentissement important de ses conférences publiques au début des années soixante (dont Le Liban au tournant, 1964), le père Lebret revient dans l’actualité en 2014 avec la parution aux éditions Geuthner de son journal intégral au Liban et au Moyen-Orient. C’est l’occasion pour un public large de faire connaissance avec une personnalité hors-norme, un travailleur infatigable du développement qui fut l’inspirateur de l’encyclique pontificale Popularum Progressio et pour qui le Liban occupa une place privilégiée tant sur le plan personnel que professionnel. Lebret connaît en effet le Liban depuis la Première guerre mondiale, alors qu’il aspirait à devenir officier de marine à l’Ecole navale. En 1915, alors que le Mont-Liban est sous occupation ottomane, il est embarqué sur un cuirassé stationné sur l’ilôt de Rouad, en face de Tartous. En 1921, au début du Mandat français et un an après la proclamation du Grand Liban, il prend la direction des mouvements du port de Beyrouth. C’est à Zahlé en 1922 qu’il fait sa retraite de vocation. Il décide alors d’abandonner une carrière prometteuse d’officier de marine pour rentrer dans les ordres. Hormis un bref retour en 1955, plusieurs décennies s’écoulent avant qu’il ne revienne au Liban en 1959 avec le titre de directeur de l’IRFED. Il est alors appelé par les autorités libanaises afin d’aider à mettre en place un plan développement dans un pays qui sort affaibli et divisé par une guerre civile qui a fragmenté le pays au début de l’année 1958 et qui a conduit à l’élection du général Fouad Chéhab à la présidence du pays le 31 juillet.
Dans le contexte actuel d’un Moyen-Orient déchiré par les conflits politiques et religieux et d’un Liban plus que jamais atone, le journal de L.J. Lebret apparaît comme une occasion pour les nouvelles générations libanaises de redécouvrir une part de leur histoire et de rompre avec la logique fataliste. Le journal illustre en effet un moment historique inédit depuis l’indépendance du pays: celui d’un Liban en développement, globalement pacifié et qui a été capable un moment de se tourner vers l’avenir, d’engager un effort remarquable de rationalisation et de mobilisation des énergies et des compétences en vue d’édifier un Etat moderne. Le général Fouad Chéhab incarne cette période réformiste et demeure à bien des égards encore aujourd’hui un modèle à suivre pour une grande partie de la classe politique libanaise. C’est précisément un large pan de sa présidence qui est passé en revue par le directeur de l’IRFED dans son journal tenu presque au quotidien durant ses moments de présence sur place. Au fil des pages, c’est le fonctionnement même de l’Etat libanais en construction à travers ses mécanismes de prise de décisions, ses contradictions et ses tensions internes qui est révélé au grand jour par celui qui fut un proche du général Chéhab. Jamais peut-être une telle plongée à l’intérieur même des hautes sphères du pouvoir n’avait été offerte au lecteur, émanant d’un acteur français extérieur au pays et, surtout, du conseiller et de l’homme de confiance privilégié du chef de l’Etat. Il s’agit d’une vision sans concession émanant d’un expert international en développement qui jette un regard lucide et neuf sur les déséquilibres des structures économiques libanaises et les inégalités territoriales, mais aussi sur les disfonctionnements de l’appareil administratif. Avec l’inflation récente des Mémoires publiées par les acteurs libanais de l’époque et le travail d’exhaustion des archives menées par les historiens ces dernières années, le journal de L.J. Lebret s’impose comme un matériau d’exception, une mémoire française qui s’ajoute à l’édifice du renouveau historiographique en cours sur l’histoire politique et économique du Liban d’avant-guerre. Depuis plus d’une décennie, ce renouveau est lié en grande partie aux publications d’acteurs arabophones, mais surtout de chercheurs francophones parmi lesquels notamment la contribution utile de Jean-Marc Fevret éditée en 2011: 1948-1972: Le Liban au tournant. L’anémone pourprée. Si les mémoires libanaises du Liban tendent à mettre en évidence les personnalités les plus en vues du Liban post- indépendance (le Liban des grandes familles), le journal du père Lebret fait resurgir de manière vivante toute une catégorie d’acteurs jusque là moins visibles voire oubliés: il en va ainsi des experts étrangers, des hauts fonctionnaires nationaux, des ingénieurs, des architectes, des entrepreneurs et des hommes de l’ombre au sein de l’Etat libanais. Il s’agit là probablement du milieu socio-professionnel principal au sein duquel les idées réformistes chéhabistes trouvèrent les relais les plus puissants. A l’image de Joseph Naggear, Chafic Moharram, Boutros Dib, Elias Sarkis ou Charles Hélou, les grands commis de l’Etat libanais post-colonial défilent dans le journal. Les deux derniers connaîtront pour leur part un destin présidentiel.
[Figure 1: Couverture du livre de S. Malsage]
Pour l’historien du Liban, le journal offre en outre la possibilité d’une nouvelle périodisation de la présidence Chéhab en relation, non pas tant avec les changements ministériels et les évènements électoraux ou autres péripéties politiques (notamment le putsch avorté du Parti Socialiste National Syrien le 31 décembre 1961), mais avec le degré d’avancement des réformes mises en œuvre. A ce titre, l’année 1963 s’impose véritablement comme un tournant car c’est le moment où s’accumulent toutes les difficultés et où le pessimisme l’emporte irrémédiablement sur les premiers moments d’espoir et d’enthousiasme. Pour autant, malgré les obstacles auxquels la mission et son directeur furent confrontés, le journal de L.J. Lebret apparaît aujourd’hui comme une lueur d’optimisme car il sonne comme un rappel à tous ceux qui ont oublié que le Liban avait été capable de s’engager dans la voie de réformes administratives, économiques et sociales faute d’avoir pu mettre en œuvre les indispensables réformes institutionnelles (notamment le dépassement du confessionnalisme politico-administratif) nécessaires à la mise en place d’un Etat moderne. Le journal trace en ce sens la voie vers tous les possibles et s’impose comme un référent à partir duquel pourrait s’opérer, dans des contextes différents, une réflexion sur les tentatives de construction et de reconstruction au Liban.
Le directeur de l’IRFED a parcouru et est intervenu avant 1959 dans bon nombre de pays de ce qu’on appelait alors le Tiers-Monde, ce qui explique en partie la place notoire qu’y occupe le terrain sud-américain, l’actualité africaine, internationale et celle de l’Eglise (au moment où s’ouvre le Concile Vatican II) dans son journal libanais. Ce dernier est tenu dans le contexte de l’accélération de la décolonisation en Afrique française (1960) et en Algérie (1962). Sous la plume du dominicain, le Liban de cette époque est dépeint comme un laboratoire social incomparable, voire une forme de « paradis » terrestre (8 janvier 1964), même si le mythe du « miracle » économique (1er octobre 1959) vanté par les publicistes et l’iconographie vole en éclats dans le journal. Pour le lecteur libanais d’aujourd’hui, ce document dépeint l’image d’un pays aujourd’hui disparu, avec ses images-souvenirs, ses noms de rues, ses hôtels et ses lieux de sociabilité (cafés, restaurants, librairies) détruits pendant la guerre civile (1975-1991). Le journal ravive en ce sens toute une mémoire collective et s’impose pour le Liban en véritable document patrimonial. Les descriptions géographiques minutieuses des territoires libanais et les nombreuses réflexions sur les structures sociales et professionnelles contribuent à faire de ce document un véritable manuel d’analyse sociologique appliqué à l’Orient. Adepte de Fréderic Le Play, Lebret doit en réalité sa réputation internationale à ses nombreux travaux d’enquêtes menés dès 1947 à Sao-Paulo puis, à partir de 1952, dans plusieurs pays d’Amérique latine. Au début des années 1960, Lebret semble néanmoins rechercher en vain des paysages de jeunesse qui ont définitivement disparu en raison de l’extension urbaine de la capitale et de l’émergence d’un Grand Beyrouth (4 août 1960). La croissance démographique, l’exode rural et l’extension urbaine, entraînent déjà une urbanisation rapide, une hypertrophie de la capitale et une « bétonisation » de la montagne. Ces transformations urbaines n’épargnent pas les villes de l’intérieur et les cités côtières. Le directeur de l’IRFED constate avec regrets que le Liban qu’il a tant aimé en 1921-1922 comme directeur des mouvements du port de Beyrouth a en partie disparu (9-12-14 août 1960).
La construction d’un Etat moderne au Liban, mission que le général Chéhab confia en partie au directeur de l’IRFED, entraîne ce dernier à parcourir une partie du Moyen-Orient afin de prendre connaissance des expériences de développement menées au même moment en Syrie, en Jordanie et dans les pays du Golfe. Dans le journal, les conclusions du dominicain sont sans appel: l’économie libanaise est déséquilibrée par rapport à celle de ses voisins car elle a négligé les périphéries et les secteurs productifs depuis l’indépendance au profit d’une logique d’hyper-tertiarisation ayant privilégié le centre beyrouthin et la Montagne proche. Par son orientation économique et sa structure institutionnelle, le Liban s’impose pour Lebret comme un pays spécifique mais difficile à réformer, tant sont prégnants les jeux partisans et la logique économique libérale fortement réticente aux schémas de pensée venus de l’extérieur, comme l’incarne l’idée même de planification au Liban. Au-delà du terrain d’étude officiel qui est le sien, Lebret nous invite à redécouvrir par ses voyages d’études la richesse des paysages syriens aujourd’hui dévastés par la guerre. La traversée dans les souks foisonnants d’Alep ou de Damas en 1960 fait resurgir la richesse d’une riche et ancienne civilisation urbaine et marchande. Le voyage en Terre sainte et en Jordanie en 1962 est l’occasion pour lui de redécouvrir avec émotion le berceau du christianisme et de s’interroger sur les possibilités d’un rapprochement islamo-chrétien. Le voyage professionnel de 1964 à Koweit permet quant à lui de voir surgir les potentialités offertes par les nouvelles économies du Golfe fondées sur les revenus du pétrole. Rédigé entre le moment où l’idéal d’unité arabe trouve un bref accomplissement dans le projet de République arabe unie et l’instant où la guerre froide arabe s’installe après son éclatement en 1961, le journal fourmille d’allusions à l’actualité politique régionale. C’est l’époque où le nassérisme exerce encore une force d’attraction considérable au sein des pays arabes et où les coups d’Etat se multiplient au Moyen-Orient. Lebret en a été sans nul doute un témoin privilégié.
A l’heure où les persécutions confessionnelles redoublent d’intensité au Moyen-Orient (notamment en Syrie et en Irak), les résonances contemporaines du journal se font de plus en plus visibles. Le souci de maintenir et de renforcer la présence chrétienne en Orient est en effet un leitmotiv du journal. Dans son journal, Lebret fait cependant bien plus une lecture sociale qu’une lecture confessionnelle de la société libanaise. Le rapport célèbre de l’IRFED publié en 1961, Besoins et Possibilités de développement au Liban, a révélé l’ampleur des inégalités de développement au Liban (18% de la population concentrant 60% des revenus) et ce sont les périphéries musulmanes du pays qui connaissent les plus grandes difficultés et vers lesquelles le général Chéhab (soutenu en ce sens par Lebret) veut concentrer ses efforts. L’enjeu est bel et bien de canaliser les forces musulmanes libanaises centrifuges attirées par le nationalisme arabe nassérien, au moyen d’une politique économique et sociale intégratrice. Au Liban, les amitiés musulmanes de Lebret sont nombreuses tandis que la politique chéhabiste entraîne en revanche une opposition croissante dans les milieux chrétiens (à travers la figure symbolique du Patriarche Méouchy particulièrement égratignée par Lebret).
Fervent chrétien et proche du pape Paul VI, L.J. Lebret alimente pourtant constamment son journal de réflexions person¬nelles sur sa vision de l’homme et de la civilisation, voire de prises de position sur la place des chrétiens en Orient. Dans les pays arabes voisins, jusqu’au début des années cinquante, les chrétiens sont généralement bien intégrés dans les structures étatiques. Depuis l’indépendance du pays en 1943, les chrétiens du Liban conservent une place prépondérante dans les institutions politico-administratives du pays, même si l’émergence d’une élite musulmane sunnite et chiite éduquée tend à remettre en question dès la fin des années soixante les fondements d’un partage des pouvoirs largement institutionnalisé à l’époque du Mandat français. À la tête d’une mission d’experts composée essentiellement de laïcs, le père Lebret n’en reste pas moins persuadé que le développement humain des civilisations passe par une intensification de la présence intellectuelle chrétienne au monde. Il conçoit la civilisation comme un processus impliquant le passage d’une phase à une autre. La phase la plus aboutie est celle qui parvient au développement authentique, harmonisé, indissociable du concept de civilisation chrétienne et de la prise en compte des valeurs positives de toutes les civilisations. Au-delà de la fonction descriptive du journal (Lebret note tout ce qu’il fait, tout ce qu’il voit d’important), la fonction réflexive a toute sa place à travers ces pages libanaises, car elle permet de diffuser la pensée de son auteur profondément imprégné de la doctrine du catholicisme social. Au moment où s’ouvre le concile Vatican II en 1962, l’expérience libanaise du début des années soixante a sans nul doute contribué à alimenter les réflexions du père Lebret sur le progrès et le développement humain. Ces analyses participeront à sa contribution décisive à la Constitution conciliaire Gaudium et Spes (1965), puis à l’encyclique Popularum progressio (1967), deux documents fondamentaux du pontificat de Paul VI.
Dans le cas du Liban, l’enjeu de la question sociale n’est pas seulement d’aider à la construction d’un État intégrateur, projet cher au président Chéhab, mais surtout peut-être de mettre en place les conditions d’un dialogue, voire d’un rapprochement islamo-chrétien. Pour le père Lebret, le Liban par sa nature multiconfessionnelle et son histoire propre, est précisément l’espace et le laboratoire privilégié où les possibilités du vivre-ensemble doivent s’exprimer de façon privilégiée. Le journal est aussi en ce sens un hymne au dialogue inter-communautaire transcendant la dimension strictement libanaise.
Le foisonnement des personnalités libanaises et internationales citées illustre encore la résonance contemporaine du journal de L.J. Lebret au Liban et au Moyen-Orient. Véritable mine d’informations sur les grandes figures politiques, économiques ou religieuses du Liban d’avant-guerre, le journal lance une réflexion continue sur le profil et la responsabilité des élites libanaises dans la mise en œuvre d’un projet collectif en vue de bâtir un Liban moderne. Lebret ne cache pas ses sympathies pour des personnalités libanaises en accord avec la mission (qualifiées d’« amis ») ou des hommes compétents peu connus alors, mais qu’il verrait bien prendre des responsabilités nationales plus importantes. Bien plus que les ministres eux-mêmes dont la nomination répond à des considérations politico-confessionnelles, Lebret réserve dans son journal ses jugements les plus positifs à la nouvelle technocratie libanaise émergente parvenue aux responsabilités par ses diplômes et ses compétences. La catégorie des conseillers à la présidence, des directeurs généraux de ministères ou d’offices autonomes nouvellement créés, des équipiers libanais de la mission occupe ainsi une place de choix dans les notes du dominicain. La modernité du journal du père Lebret tient précisément de cette vision de plus en plus répandue et partagée d’un nécessaire dépassement des logiques institution¬nelles communautaires perçues comme un obstacle au dévelop¬pement. Cette vision, on le sait, n’est pourtant jamais parvenue à s’imposer par la suite.
[Figure 2: Extrait du journal manuscrit de L.J. Lebret au Liban (août 1960)]
Près de quarante ans après le départ du père dominicain, le Liban d’après l’accord de Taëf (1989) reste dans une situation plus que périlleuse, confronté à des problématiques assez identiques à celle que la mission Lebret avait pointées au tournant des années soixante, dans des contextes toutefois très différents. La prégnance du confessionnalisme et du clientélisme politico-administratif, le vide politique laissé par une vacance présidentielle interminable, la carence criante d’un l’État miné par les divisions politiques et qui peine à contrôler son territoire et ses frontières, le poids fondamental des facteurs régionaux (avec pour corollaire aujourd’hui l’afflux massif et dramatique des réfugiés syriens), sont aujourd’hui autant d’obstacles au développement et à la stabilité du Liban. S’y ajoutent l’héritage d’une guerre civile (1975-1990) sans réconciliation officielle et la mémoire collective d’un pays naguère occupé à plusieurs reprises et durablement par des puissances étrangères. C’est dans cette perspective que le journal du père Lebret au Liban conserve plus que jamais toute son actualité. Il pourrait être interprété comme une sorte d’appel à la responsabilité des élites politiques libanaises qui défendent leurs intérêts particuliers et confessionnels au détriment de l’intérêt supérieur de l’Etat. Rétrospectivement, le journal de L.J. Lebret au Liban et au Moyen-Orient apparaît comme un cri désespéré pour sortir de cette situation.
C’est cependant bien l’idée de réforme et d’économie humaine au Liban qui constitue le maître mot de l’héritage du père Lebret et qui transparait sans cesse dans ses écrits. Les quatre années consacrées au Liban auront laissé une trace durable dans les esprits. Le nouveau préambule de la Constitution libanaise issu de la révision constitutionnelle du 21 septembre 1990 rappelle d’ailleurs les idées forces de la pensée du fondateur d’Economie et Humanisme. Faute d’avoir réussi à réformer le Liban, la mission IRFED a surtout laissé derrière elle un état d’esprit qui n’est pas prêt de s’éteindre et qui constitue aujourd’hui une référence pour les tentatives à venir d’édification d’un État moderne au pays des cèdres.
En dépit de ses vœux, le père Lebret ne reviendra jamais au Liban après le 5 novembre 1964. La fin du journal donne pourtant encore l’illusion que le successeur du général Chéhab poursuivra l’œuvre accomplie. C’est ignorer cependant que le plan 1964-1968 préparé par l’IRFED sera finalement abandonné sous la présidence de Charles Hélou (1964-1970). Comme en témoigne une lettre à Chéhab du 26 novembre 1965, il s’agit finalement pour Lebret d’un « grave échec » mais Lebret ne renonce pas à tout espoir quand il écrit 19 août : « on ne sème jamais en vain, même si la récolte tarde ».